Echos de la scène: Nostalgies d’un temps (Propos de Stephan Grögler recueills par Carmelo Agnello)
Malgré des racines viennoises et une culture musicale qui m’a porté tout naturellement vers ce répertoire, j’ai eu très tôt l’impression que la tradition qui s’était emparée de cette œuvre tellement connue ne la servait pas vraiment. Passée la sensation de vertige qui nous saisit face à la profusion de musique, de rebondissements dramatiques, après avoir fredonné ces airs qui semblent avoir toujours fait partie de notre mémoire collective, il restait toujours un goût de désuet, de démodé.
La Veuve joyeuse n’échappait pas à l’idée que l’on se fait souvent aujourd’hui du genre tout entier. Une œuvre victime d’une sorte d’incompréhension dans laquelle on s’est longtemps complu, d’une tradition / malversation qui lui faisait perdre une grande partie de sa splendeur.
Il m’a donc paru nécessaire de retrouver, derrière le tourbillon de la vie mondaine, le divertissement programmé, derrière les histoires de grisettes, cette nostalgie qui saisit la Vienne de l’époque et d’où jaillissent les nouveaux ferments de l’art et de la pensée occidentale.
Malgré le charme certain de ses mélodies, il m’a semblé important de chercher à comprendre et à montrer à un public d’aujourd’hui, ce à quoi Lehar cherche à échapper lorsqu’il cultive cette ironie permanente, ce décalage par rapport à la réalité, ce qu’il veut nous dire lorsqu’il joue avec la caricature, avec l’absurde. Une « Veuve joyeuse » comme une construction fragile faite d’éléments contradictoires, où le sérieux se cache derrière le burlesque et où, derrière la mélodie populaire, pointe une écriture moderne déjà consciente des bouleversements que connaîtra la musique et qui partiront justement de cette Vienne qui voit naître l’œuvre.
L’espace que j’ai voulu donner à ce vertige doit avant tout signifier une perte de repères qui trouve dans l’accumulation et la profusion cette griserie d’un refus du réel. Une scène tournante qui donne à la valse un caractère mécanique lourd de connotations graves et inquiétantes, un luxe qui n’a plus que valeur de citation, de référence à un monde d’apparences, d’illusion où la solitude et l’angoisse guette les personnages. Sans arriver au tragique et à l’extravagance des figures d’un Otto Dix, c’est vers le peintre Van Dongen que m’ont attention s’est portée pour construire les silhouettes de ces personnages.