Le Nozze di Figaro
Le Nozze di Figaro
Entretien avec Stephan Grögler effectué par Christophe Gervot
Le 8 Août 2006
C-G : Vous avez récemment mis en scène « La finta giardiniera », un opéra de jeunesse de Mozart. Ce travail vous a-t-il aidé pour aborder « Les noces de Figaro » ? Quels liens percevez vous d’une œuvre à l’autre ?
S-G : Chaque travail apporte une nouvelle pierre au précédent. « La finta » est le seul opéra de Mozart que j’ai mis en scène mais je baigne dans une culture mozartienne depuis mon enfance, ce qui peut constituer un danger, les références sont tellement fortes, souvent écrasantes . Il peut être difficile de se défaire du regard porté par d’autres sur certains ouvrages pour laisser la place à ses propres sensations d ‘écoute. « La finta » ne m’a pas plus influencé que d’autres œuvres. Même si les deux opéras de Mozart sont très différents, on doit s’efforcer de trouver un équilibre entre quelque chose de très sérieux et le divertissement , faire réfléchir tout en restant léger.
C-G : Quelles questions vous posez vous en montant « les noces de Figaro » et quelle vision souhaitez vous donner de cet opéra ?
S-G : La chose la plus difficile est de trouver un équilibre entre la critique sociale et une forme ludique du genre commedia dell’arte . Le livret est parfait, l’œuvre est complète . On doit trouver un style de représentation pour faire ressortir les deux éléments en évitant d’accentuer l’aspect historique. J’ai lu Beaumarchais mais aussi « Figaro divorce », un texte de Odön von Orvarth qui est une suite du « mariage de figaro » crée en 1937 mais je me concentre sur l’œuvre que je dois monter. Je nourris mon travail des travaux de Gordon Matta - Clark , un artiste américain qui déconstruit des maisons, découpe des morceaux de murs. Cette influence sur notre scénographie permet une analyse très scientifique d’un certain moment de vie , comme si on en découpait au scalpel un fragment. Dans cette maison , dans cette folle journée, dans cette vie, comment ciseler un petit instant ? D’un point de vue historique, on verra les vieux murs d’un château mais avec l’aspect violent et presque chirurgical de quelque chose qui s’écroule. Je ne veux pas jouer uniquement sur l’aspect comique mais analyser aussi des fonctionnements humains, dans une situation particulière. Ainsi, le premier acte montrera un bout de mur avec un escalier. L’architecture donne une idée de la situation : à l’ébauche d’escalier au dessous duquel habitent Suzanne et Figaro à l’acte 1 répond la prison dorée de la comtesse à l’acte 2 tandis que le dispositif de l’acte 3 permet au comte Almaviva de flotter au dessus de la réalité, d’être dans sa bulle, déconnecté du reste du monde . Ces images correspondent aux mondes de chacun. La dramaturgie du lieu à l’acte 4 rend impossible tout accès au premier étage, le cabanon de jardin rappelle, par son volume, le décor de l’acte 1, comme un souvenir de ce qui s’est passé. On finit là où tout a commencé , avec l’espoir que les gens vont continuer à évoluer. Je souhaite, par le décor, montrer toute la violence qu’il peut y avoir dans « Les noces » tout en maintenant quelque chose de vivant et de joyeux. De ce va et vient entre profondeur et légèreté va naître, je l’espère, un questionnement ouvert chez le spectateur .
En ce qui concerne les costumes, nous nous sommes inspirés de « La règle du jeu » de Renoir, dans lequel on assiste aussi à un ballet des serviteurs dans un château où tout le monde se retrouve. On y retrouve la primauté des nobles sur les valets mais c’est néanmoins le personnel qui fait tourner la maison. L’époque de ce film est le début du XX ème siècle. Dans un tel contexte, l’histoire des noces, plus proche de nous, est encore possible.
C-G : Y –a-t-il des personnages qui vous touchent particulièrement ? Comment envisagez vous des construire avec vos interprètes ?
S-G : Pour mettre en scène, il faut aimer chaque personnage. Chacun d’eux est attachant, on a envie de le défendre sans être trop simpliste dans la manière de l’aborder. En effet, ils sont tous complexes. Chacun va s’épanouir dans le travail avec chaque soliste où l’on va s’efforcer de montrer la part d’humanité . On ne peut se contenter de stéréotypes ni d’une vision trop manichéenne . Même Marcelline est très touchante et d’une grande richesse.
Le plateau sera plutôt vide pour placer le chanteur-acteur au centre de l’action. Je ne souhaite pas encombrer l’espace, ce qui m’importe, c’est le jeu ,on a beaucoup à faire dans « Les Noces ». Rien ne doit faire obstruction à l’humain.
C-G : Votre travail trouve –t- il des échos dans des mises en scène antérieures ?
S-G : Ce sera au public de juger. Ce qui nous importe, c’est de raconter ce que nous ressentons en écoutant une œuvre tout en la respectant afin de dire que pour nous, cette œuvre résonne de cette manière. Il y a un faux respect aujourd’hui qui donne des résultats trop souvent aseptisés . Si l’on fait ce métier, c’est aussi pour faire passer ses émotions et qu’il y ait une vraie vie et une vraie implication dans ce que nous proposons . N’est ce pas le plus important ?